Les nappes toxiques d'algues. L'été, elles tapissent souvent lacs et rivières ou flottent entre 2 eaux, formant une pellicule d'un bleu vert éclatant. Si elles rebutent les nageurs et entravent d'autres loisirs, ces inflorescences — attribuables aux cyanobactéries — ne sont pas que repoussantes, loin de là.
Comme l'indique Charles Greer, du Conseil national de recherches du Canada (CNRC), bien que certaines cyanobactéries à l'origine de telles proliférations soient inoffensives, beaucoup d'autres synthétisent des toxines dangereuses. « Des animaux domestiques et maints animaux sauvages périssent en buvant l'eau contaminée par ces microorganismes, explique-t-il. Notre crainte principale est que ces toxines s'infiltrent dans le réseau d'eau potable. »
Prévoir et éventuellement prévenir
En vertu du projet d'Écobiomique — une collaboration interministérielle de 5 ans en recherche financée grâce à l'Initiative de recherche et développement en génomique (IRDG) du gouvernement canadien —, M. Greer, chercheur principal au Centre de recherche sur l'énergie, les mines et l'environnement du CNRC de Montréal, aide la scientifique Sophie Crèvecœur, d'Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), à déterminer quand et comment les algues prolifèrent pour devenir toxiques en recourant à des technologies de pointe en génomique.
« Dès que nous l'aurons établi », reprend M. Greer, « nous pourrons prédire quand de telles proliférations se développent et en atténuer les répercussions éventuelles, voire les éviter au départ. »
Question de « bouffe »
Les 2 chercheurs insistent sur l'omniprésence des cyanobactéries. On en trouve presque partout et, normalement, on n'aurait pas à s'en préoccuper si on leur donnait moins à manger! « La plupart des cyanobactéries se nourrissent d'azote et de phosphore », explique M. Greer. « Nous tentons de voir quel rôle la vocation des terres — l'usage des terres pour l'agriculture, l'urbanisation, la foresterie ou l'exploitation minière — joue dans l'acheminement de ces substances nutritives jusqu'aux cours d'eau. »
Même si la quantité d'oligoéléments disponible semble en partie à l'origine du problème, Mme Crèvecœur, du Centre canadien des eaux intérieures d'ECCC, à Burlington (Ontario), croit que d'autres mécanismes interviennent dans l'éclosion des proliférations toxiques d'algues.
« Certes, le problème s'est atténué un moment, dans le lac Érié, après les efforts mutuels déployés par le Canada et les États-Unis pour freiner le ruissellement de phosphore dans ses eaux, au cours des années 1970, convient-elle, mais tout était à recommencer vingt ans plus tard. En outre, nous avons enregistré les proliférations les plus importantes depuis des décennies ces dernières années. »
À la recherche d'une origine microbienne
Recourant à l'analyse de l'ADN, Mme Crèvecœur, M. Greer et leurs équipes étudient les populations d'unicellulaires qui peuplent les lacs, les cours d'eau en amont et les terres environnantes pour non seulement établir la provenance des cyanobactéries à l'origine des proliférations toxiques, mais aussi déterminer comment différents microorganismes interagissent avec elles pour en accroître la multiplication et la toxicité.
« Les cyanobactéries sont partout. Nous cherchons donc des liens », explique la chercheuse. « En analysant l'ADN des cyanobactéries présentes dans le sol, près des cours d'eau, on saura si ce sont bien elles qui prolifèrent dans le lac, ou s'il s'agit d'autres cyanobactéries, qui leur sont étroitement apparentées. Les échantillons prélevés dans le lit des rivières nous diront comment la population de cyanobactéries évolue au fil du courant et l'importance d'autres microorganismes dans ces changements. Comment, par exemple, certains membres de la microflore rendent les éléments nutritifs plus accessibles aux cyanobactéries. »
Louée soit l'IRDG
Selon les 2 scientifiques, leurs travaux seraient irréalisables sans la collaboration qui caractérise le projet d'Écobiomique de l'IRDG, qui en regroupe seize, distincts, mais reliés entre eux, auxquels participent des dizaines de chercheurs de 7 ministères fédéraux.
« Grâce au projet d'Écobiomique, nous disposons de ressources et de données auxquelles nous n'aurions jamais eu accès par nous-mêmes, déclare Mme Crèvecœur, qu'il s'agisse d'équipement pour séquencer l'ADN ou des données recueillies sur la microflore tellurique par les chercheurs d'Agriculture et Agroalimentaire Canada travaillant sur un autre volet du projet. »
Pour M. Greer, non moins important est le fait que les chercheurs participant au projet appliquent les mêmes protocoles et les mêmes techniques quand ils effectuent des prélèvements et analysent le génome des échantillons. « En d'autres termes, nous pouvons ajouter les données issues de l'eau échantillonnée par un de nos collègues du ministère des Pêches et des Océans aux nôtres sans hésitation, car nous savons que nous aurions obtenu des résultats identiques, affirme-t-il. Essentiellement, l'IRDG nous permet de faire progresser la science beaucoup plus vite et à moindre coût. »