La génomique ajoute de la valeur aux collections patrimoniales

- Ottawa, Ontario

En 1886, James Fletcher, comptable à la bibliothèque du Parlement du Canada qui avait été nommé entomologiste honorifique par le ministère de l'Agriculture trois années plus tôt, a fait don de sa collection personnelle d'insectes et de végétaux au Canada.

Les collections créées à partir des dons de M. Fletcher sont volontiers reconnues parmi les plus riches et les plus belles du monde. Relevant aujourd'hui d'Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), la Collection nationale d'insectes, d'arachnides et de nématodes renferme à elle seule plus de 16 millions de spécimens, dont un grand nombre sont uniques – c'est-à-dire les seuls représentants connus de leur espèce préservés dans une collection à l'échelle du globe.

La Collection nationale de plantes vasculaires (herbier, dirons-nous mieux), renferme plus de 1,5 million de spécimens séchés de végétaux, dont certains ont pratiquement 200 ans, alors que la Collection de référence sur la mycologie compte quelque 400 000 spécimens séchés de champignons, dont un grand nombre de phytopathogènes sur leurs plantes hôtes.

Plus que de simples pièces de musée

Ces deux collections, de même que les autres détenues par AAC, sont plus que des curiosités. Elles sont constamment utilisées par les chercheurs canadiens et étrangers, souvent à des fins que les personnes ayant recueilli ces échantillons n'auraient jamais pu imaginer – par exemple donner des indices sur le climat à l'époque de leur croissance ou fournir de l'ADN pour protéger l'industrie agricole canadienne.

Selon André Lévesque, chercheur à AAC et conseiller scientifique attaché à un important projet de recherche financé par l'Initiative de R-D en génomique (IRDG) du gouvernement du Canada, l'herbier est une ressource d'une valeur inestimable.

Une mine d'ADN

Quinn Eggertson, Adjointe de recherche à AAC, prélevant des échantillons d'herbier pour l'extraction d'ADN.

« Dans le cadre du projet sur les espèces envahissantes et justiciables de quarantaine (EEQ) financé par l'IRDG, nous en train de monter une base de données comprenant des séquences d'ADN de milliers de ravageurs et de pathogènes nuisibles aux cultures vivrières, explique M. Lévesque. Lorsque nous détectons un organisme suspect dans une cargaison de blé, par exemple, nous pouvons analyser son ADN et le comparer aux séquences contenues dans la base de données pour établir très rapidement s'il s'agit d'un organisme nuisible ou inoffensif. »

À cet égard, plusieurs espèces de champignons qui s'attaquent aux plantes s'avèrent particulièrement difficiles à différencier.

« Nous avons la chance qu'au fil des ans, nos chercheurs aient réuni des milliers de spécimens de végétaux, dont des mauvaises herbes affichant des symptômes de maladies. Nous puisons maintenant dans la collection de plantes infestées par des champignons pour extraire et séquencer leur ADN, précise M. Lévesque. Les données que nous constituons ainsi nous aideront à identifier de façon déterminante différentes espèces de champignons dans l'avenir. »

La diversité, clé d'une bonne base de données

M. Lévesque ajoute qu'il ne faut pas se contenter d'ajouter les espèces nuisibles à la base de données. « En 1996 par exemple, une maladie causée par un champignon appelé carie indienne a été décelée dans du blé provenant du Sud-Ouest des États-Unis, explique-t-il. Le blé touché par cette maladie n'est plus commercialisable, la plupart des pays lui fermant leurs frontières. Cette découverte à elle seule a réduit de quelque 250 millions de dollars les exportations des États-UnisNote de bas de page 1.

À ce jour, la maladie n'a jamais été détectée au Canada, mais le risque d'identification par erreur demeure élevé.

André Lévesque explique que même au niveau moléculaire, la carie indienneest très semblable à un champignon bénéfique qui s'attaque à une mauvaise herbe largement répandue. « Lorsqu'on compare la séquence d'ADN de la carie indienne,à partir desséquences du génome utilisées aux fins d'identification, elle est pratiquement identique au génome de l'espèce de champignon inoffensive. Des quelque 650 paires de base qui se trouvent dans la signature génique de ces champignons, une seule paire diffère. »

« Voilà pourquoi nous continuons de séquencer l'ADN des spécimens de champignons conservés dans l'herbier, qu'ils soient nuisibles ou non, poursuit M. Lévesque. Ce travail ne saurait toutefois se poursuivre sans le financement assuré par l'IRDG. Si la séquence d'ADN de l'espèce inoffensive ne se trouvait pas dans notre base de données, il serait facile, faute de pouvoir établir une comparaison détaillée, de confondre le champignon découvert avec la carie indienne au risque de voir les frontières d'un grand nombre de pays se fermer aux exportations de blé canadien. »

Des diagnostics pour protéger les cultures et le commerce

Chercheur de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) au Laboratoire des végétaux d'Ottawa, Guillaume Bilodeau explique qu'en comblant les lacunes dans la base de données, le prélèvement et le séquençage de l'ADN des spécimens des collections contribuent à améliorer les capacités de diagnostic de l'ACIA.

« Notre capacité d'identifier avec précision des pathogènes présentant un risque pour notre industrie agricole ou le commerce dans ce secteur s'accroît au fur et à mesure que de nouvelles signatures génétiques sont stockées dans la base de données, explique M. Bilodeau. Nous avons également pris soin de valider la sensibilité et la spécificité de nos méthodes de détection et d'extraction de l'ADN, afin que la crédibilité de nos diagnostics ne puisse être mise en doute. »

Notes de bas de page

Note de bas de page 1

Chiffres cités dans One More Frightening Possibility: Terrorism in the Croplands, Chronicle of Higher Education, 26 octobre 2001 (rediffusé sur le site Web de la UCLA School of Public Health)

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