La génomique multiplie les informations dont on se sert dans maintes applications. Entre autres avantages, cette science relativement jeune permet d'identifier sans risque d'erreur virtuellement tous les organismes, qu'ils soient vivants ou morts.
Tout le monde sait combien l'ADN est devenu un instrument précieux dans le fardeau de la preuve pour les forces de l'ordre. Désormais, les scientifiques du gouvernement canadien font eux aussi appel à la « criminalistique microbienne » pour rendre les aliments et l'eau plus sûrs au Canada.
Le projet sur la salubrité des aliments et de l'eau
Par l'entremise de son Initiative de recherche et de développement en génomique (IRDG), le gouvernement du Canada a financé le projet. Ce projet pluriannuel de recherche unique a nécessité la collaboration de 52 experts dans six ministères fédéraux, épaulés par un bataillon de techniciens. Grâce à ces travaux de recherche complémentaires, de nouvelles connaissances et des outils neufs ont vu le jour. Ils permettront de s'attaquer à quelques-unes des menaces les plus lourdes que les bactéries font peser sur les approvisionnements de nourriture et d'eau. Des menaces qui ont pour noms Escherichia coli et Salmonella enteriditis, et que la plupart des Canadiens ne connaissent que trop bien.
Si ces noms semblent familiers, Morag Graham, chef de la génomique au Laboratoire national de microbiologie de l'Agence de la santé publique du Canada, s'empresse de souligner qu'identifier les bactéries qui les portent n'est pas toujours aisé.
Une bonne identification est capitale
« Les variétés d'E. coli, par exemple, ne manquent pas », explique M. Graham. « La majorité de celles-ci sont inoffensives, mais quelques souches – celles qui synthétisent la toxine Shiga, appelées STEC en abrégé, et dont fait partie la souche 0157:H7 – sont extrêmement toxiques pour l'être humain. Elles peuvent donc entraîner une maladie grave, voire mortelle. Or, distinguer rapidement l'E. coli ordinaire du STEC peut s'avérer très difficile avec les méthodes usuelles. »
Les conséquences peuvent être désastreuses en cas d'erreur. « Si l'on méprenait le STEC pour une souche sans danger dans un échantillon de nourriture ou d'eau, le système de santé publique en serait rudement secoué », prévient M. Graham. « De même, si l'on confondait une souche inoffensive avec le STEC, il s'ensuivrait des enquêtes superflues, des rappels de produits inutiles, peut-être même une coûteuse interruption des exportations d'aliments. »
Les souches du STEC elles-mêmes connaissent des variations. « Un isolat 0157:H7 découvert dans du bœuf haché cru, chez un détaillant, par exemple, pourrait ne différer que très légèrement d'un second isolat, dépisté dans l'élevage de bovins d'un fournisseur », déclare M. Graham. « Par conséquent, plus on caractérisera chaque bactérie avec précision, mieux on identifiera la source véritable de la contamination. »
Précision accrue, réaction plus efficace
Pour atténuer les risques d'une erreur d'identification, M. Graham et son équipe ont recouru aux toutes dernières technologies de génomique, celles qui offraient la plus haute résolution. Ils ont ainsi séquencé l'ADN complet de centaines d'isolats du STEC ainsi que des spécimens de Salmonella enteritidis recueillis un peu partout au pays.
« Avec un plan détaillé du génome, dit-il, dorénavant, nous distinguerons en toute confiance une souche de la bactérie d'une autre. »
L'équipe a séquencé au-delà de 95 pour cent du génome de chaque isolat. « Signalons, et c'est important de le faire, que nous avons séquencé totalement vingt génomes », s'empresse de préciser M. Graham. « Ces génomes de référence brossent un portrait exact de chaque bactérie, à la hauteur du nucléotide. Sachant que le code génétique du STEC en comporte près de 5,5 millions, on comprend pourquoi la précision devient si importante quand vient le moment d'identifier le coupable. »
Assembler les pièces du casse-tête
Les membres de l'équipe de M. Graham n'ont pas limité leur participation au séquençage. Ils ont aussi catalogué le génome et d'autres particularités des bactéries. « Nous avons saisi des informations importantes sur tous les isolats que nous avons étudiés, affirme-t-il, du degré d'expression de la toxine aux éléments du génome qui expliqueraient pourquoi on trouve la bactérie à certains endroits (dans un parc à bestiaux ou un bassin hydrographique, par exemple) ou dans certains types d'échantillons, ou encore pourquoi la bactérie prolifère dans certaines conditions et pas dans d'autres. »
Selon M. Graham, l'approche multidisciplinaire et la collaboration interministérielle autorisées par l'IRDG ont permis au projet d'avancer plus vite. « Ainsi, Franco Pagotto, de Santé Canada, s'est servi de nos constatations pour aider son équipe à mieux isoler le STEC en appliquant différentes techniques de culture en laboratoire », reprend M. Graham. « De son côté, les travaux de M. Pagotto ont facilité l'élaboration de nouveaux protocoles expérimentaux pour le STEC. »
Regroupés, ces progrès ont raccourci de plusieurs jours le temps requis pour confirmer l'existence de ces dangereux contaminants dans les échantillons d'eau. « Le savoir et la compréhension que nous avons retirés de l'analyse des génomes ont débouché sur des approches qui permettent d'isoler simultanément toutes les souches du STEC présentes dans l'échantillon, même quand le nombre de bactéries est infime », dit M. Pagotto.
Protéger la population
Les données génomiques sur ces centaines de souches ont été cataloguées avec d'autres informations pertinentes – les « métadonnées », comme on les appelle —, notamment le lieu et les conditions où les bactéries ont été découvertes. Cette vaste banque de données génomiques et de métadonnées a ensuite alimenté la plateforme de bio-informatique mise au point par une autre équipe du projet, ce qui a multiplié les capacités et accéléré les analyses.
« Grâce au projet, les autorités responsables de la santé publique et d'autres enquêteurs auront accès à ces ressources ainsi qu'à de nouveaux jeux d'outils aussi efficaces que précis pour identifier rapidement et caractériser exactement les contaminants bactériens », conclut M. Graham, « ce qui est capital si l'on veut agir ou réagir afin de mettre les Canadiens à l'abri de la maladie. »