La mondialisation du commerce et des voyages offre des moyens de plus en plus nombreux aux espèces étrangères envahissantes de s'infiltrer en douce au Canada.
Tous les ordres de gouvernement sont, à juste titre, mobilisés pour protéger le Canada contre la menace posée par les espèces étrangères envahissantes, des pathogènes microscopiques qui contaminent les cultures vivrières aux insectes qui ravagent les boisés urbains en passant par les plantes aquatiques qui détruisent l'habitat des espèces indigènes. Au Canada, les dommages causés par les envahisseurs étrangers atteignent à présent des dizaines de milliards de dollars par année.
Il est donc essentiel de mieux connaître l'origine et les modes de déplacement des pathogènes et des ravageurs pour pouvoir mettre en place des moyens de défense efficaces.
Collaboration entre plusieurs ministères
Patrice Bouchard, chercheur scientifique à Agriculture et Agroalimentaire Canada, coordonne un projet de recherche d'envergure soutenu financièrement par l'Initiative de R-D en génomique (IRDG) du gouvernement du Canada. Son projet sur les espèces envahissantes et justiciables de quarantaine (EEQ) met à profit les compétences et les ressources scientifiques de plusieurs ministères et organismes fédéraux pour concevoir, à l'aide de la génomique, des moyens novateurs, plus rapides et plus efficaces afin de détecter et d'identifier les espèces étrangères et envahissantes et d'en retracer l'origine.
« L'un des champs de cette recherche est l'analyse des voies d'introduction, explique M. Bouchard. La génomique permet non seulement d'identifier les espèces étrangères, mais aussi de comprendre comment elles peuvent arriver au Canada, autant de renseignements qui permettront aux organismes de réglementation d'affecter leurs ressources aux risques les plus importants. »
Voies d'introduction des espèces exotiques
Nous connaissons très bien certaines de ces voies d'introduction, notamment les caisses de bois non traité dans lesquelles se cachent des insectes, mais d'autres sont surprenantes.
En octobre 2013, un bateau de pêche de six mètres de long s'est échoué sur une plage de l'île de Vancouver. D'après les inscriptions délavées sur ses flancs, il s'agissait de toute évidence d'une embarcation emportée par le terrible tsunami qui a frappé la côte du Japon en mars 2011. Comme bon nombre de débris, le bateau a dérivé au gré des vents et des courants dans le Pacifique jusqu'à la côte de l'Amérique du Nord.
Un ramasseur d'épaves qui avait constaté que la coque était couverte de mollusques et d'autres organismes marins s'est empressé de signaler l'épave à Pêches et Océans Canada (MPO).
Les envahisseurs démasqués
À l'aide du séquençage de l'ADN de plusieurs gènes, la scientifique du MPO Cathryn Abbott a rapidement pu établir que plusieurs moules agglutinées sur la coque appartenaient à une espèce originaire de la péninsule coréenne, espèce qui n'avait encore jamais été observée en Amérique du Nord.
« Selon nous, l'espèce identifiée ne pose pas de risque significatif, a déclaré M. Therriault, le chercheur responsable des espèces aquatiques envahissantes pour la région du Pacifique du MPO. Toutefois, comme elle a tendance à s'hybrider rapidement, il y a un faible risque qu'elle nuise à l'aquaculture sur la côte de la Colombie-Britannique, là où sont concentrées plusieurs exploitations de mytiliculture commerciales. »
Une espèce indigène?
« Ce qui frappe le plus dans cette histoire, c'est la rapidité avec laquelle nous avons pu établir qu'il ne s'agissait pas d'une espèce indigène, a souligné Mme Abbott. Un grand nombre d'espèces de moules ont une apparence très similaire. À l'aide d'un simple examen morphologique, il est souvent difficile de reconnaître une espèce étrangère potentiellement envahissante d'une espèce indigène. »
Selon Mme Abbott, le financement de l'IRDG a été un maillon important pour l'identification de l'espèce de moules. « Sans le financement de ce projet, nous n'aurions pas eu les ressources ni les capacités pour faire ce travail. »
« Le projet EEQ a permis de créer une base de données renfermant des séquences d'ADN de spécimens archivés dans des collections biologiques, a-t-elle ajouté. Toutes ces séquences d'ADN permettent de retracer le spécimen d'origine et permettent donc d'identifier les espèces avec une grande précision à l'aide d'information concernant le moment, le lieu et la manière dont chaque spécimen a été récolté, ainsi que les données morphologiques. Il est essentiel d'alimenter la base de données avec des séquences d'ADN de spécimens indigènes au Canada pour pouvoir les distinguer des espèces envahissantes. »
Des leçons à tirer
Même si les moules qui ont voyagé sur l'épave de pêche sont relativement inoffensives, elles font partie d'un genre de moules connues pour leur capacité à établir des populations dans des zones non indigènes. Le coordonnateur du projet EEQ souligne qu'il faut tirer des leçons de cette découverte. « Cet exemple illustre comment la génomique permet d'identifier des espèces étrangères rapidement et avec précision, explique M. Bouchard. Le plus rapidement nous pouvons détecter et identifier un organisme étranger, le plus rapidement nous pouvons prendre des mesures pour atténuer le risque d'une éventuelle invasion. »
« Cela montre également que le resserrement de la surveillance exercée dans les jours qui ont suivi le tsunami était nécessaire, indique M. Therriault. En collaboration avec la National Oceanic and Atmospheric Administration des États-Unis, nous avons placé sous surveillance les débris considérés à risque élevé, tels que les bateaux et les autres objets qui se trouvaient dans l'eau lorsque la vague géante s'est abattue sur la côte et qui pouvaient servir de vecteurs à des espèces étrangères comme les moules coréennes jusque dans les eaux de notre littoral. Soulignons que les débris engendrés par le tsunami ne sont pas les seuls qui présentent des risques; tout objet voguant sur l'océan peut abriter des espèces étrangères. Il ne faut donc pas oublier cette voie d'introduction dans nos travaux. »