Blé, avoine et orge : déchiffrer l’ADN complexe des céréales

- Ottawa, Ontario

Le blé, l'avoine et l'orge figurent parmi les céréales les plus cultivées au Canada. Outre le fait que nous en dépendons pour vivre, leur exportation représente des milliards de dollars chaque année.

La vitalité et la compétitivité à long terme de ce créneau, vital pour l'industrie agroalimentaire canadienne, et sa contribution à la sécurité alimentaire dans le monde, dépendent de plusieurs paramètres. Parmi ceux-ci et non le moindre, la capacité des phytogénéticiens à mettre au point des variétés nouvelles et améliorées n'est pas la moindre. En d'autres mots, des plantes qui résistent à un nombre croissant et en constante évolution de parasites et de maladies, qui offrent un rendement plus élevé et des qualités nutritionnelles supérieures et qui sont capables de se développer dans des conditions pédologiques et climatiques différentes.

La génomique peut aider, mais…

Nick Tinker examine comment la génomique permettrait aux sélectionneurs de mieux orienter leurs efforts pour créer de nouvelles variétés d'avoine et d'autres grandes cultures. (Photo : AAC)

Grâce au financement de l'Initiative de recherche et développement en génomique (IRDG) du gouvernement canadien, des chercheurs fédéraux comme Nick Tinker, d'Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), recourent à des techniques de pointe en génomique pour mieux encadrer le processus d'amélioration génétique (sélection) et l'accélérer.

« La génomique peut faire avancer la création de nouvelles variétés pour ces trois cultures. Cela ne fait aucun doute », indique M. Tinker, chercheur principal à AAC, à Ottawa. « La difficulté réside dans la taille et la complexité de leur code génétique. Le génome humain compte environ 20 000 gènes. Or, on en recense jusqu'à 100 000 dans ceux du blé et de l'avoine. »

Et il n'y a pas que la taille. « L'avoine actuelle, par exemple, a pour ancêtres 3 plantes sauvages, dont les génomes se sont mêlés pour engendrer le sien, poursuit-il. Tenter de le séquencer reviendrait à essayer de reconstituer 3 immenses puzzles, fort compliqués, dont les pièces sont pêle-mêle dans une seule boîte. »

Un progrès majeur

Malgré cela, les choses progressent, et M. Tinker ainsi que les membres de son équipe d'AAC y sont pour beaucoup. Dernièrement, l'aide financière de l'IRDG a permis au chercheur de mener un projet qui a débouché sur ce que l'on pourrait appeler un « moyen détourné » de composer avec le génome si compliqué des céréales.

« Environ 90 % du génome des 3 plantes se répète. Le séquencer en entier exigerait considérablement de temps et d'argent, dit-il. Pour y remédier, nous avons recouru à une technologie assez récente qui consiste à piéger des gènes ou à capturer des exomes, c'est-à-dire à extraire littéralement les gènes auxquels on s'intéresse dans l'échantillon d'ADN, comme un aimant, et à laisser de côté ceux qui se répètent. De cette façon, on peut séquencer presque complètement des sections vraiment importantes du génome, et appliquer la méthode à une foule de variétés plutôt qu'à une poignée. »

Une nouvelle base de données pour les sélectionneurs

En recourant à une série de ces sondes génétiques, M. Tinker et ses collègues sont parvenus à séquencer l'« espace génique » d'environ 500 variétés de blé, 200 d'avoine et 200 d'orge pour produire trois bases de données qu'ils ont mises à la disposition des sélectionneurs. « Il est donc possible d'identifier de meilleurs marqueurs génétiques dont on se servira pour la sélection », explique M. Tinker.

Fonctionnement

« Il se pourrait, par exemple, qu'un sélectionneur utilise un marqueur génétique pour identifier le gène codant la résistance à la rouille. Ce marqueur fonctionnait bien jusqu'à présent, mais il s'avère moins efficace avec les nouvelles souches généalogiques. Grâce à cette base de données, le sélectionneur examinera certaines des souches modernes sur lesquelles il travaille, déterminera l'emplacement du marqueur de la résistance à la rouille sur chacune et — pour la première fois — choisira délibérément d'autres marqueurs, adaptés à celles qu'il aimerait sélectionner. »

« L'obtenteur pourrait aussi chercher les liens entre les variations qui caractérisent les séquences de gènes dans la base de données et déterminer comment les variétés concernées poussent dans diverses conditions, puis identifier les marqueurs génétiques associés à ces corrélations et développer de nouveaux objectifs de sélection. »

Un potentiel évident pour les phytogénéticiens

Les phytogénéticiens d'AAC qui se spécialisent dans l'avoine et l'orge, à Ottawa (Ontario) et à Brandon (Manitoba), collaborent actuellement avec M. Tinker dans le cadre d'une étude intégrale sur l'amélioration génétique. Alors que le reste de l'équipe continue d'enrichir la base de données et de perfectionner la technique de prévision d'un gène unique, développée lors du précédent projet, ces chercheurs mettent en pratique une nouvelle méthode appelée « sélection génomique », autorisant la sélection simultanée de nombreux gènes. Grâce à ces nouvelles techniques de séquençage à haute résolution, ils se rapprochent peu à peu d'une véritable « sélection sur mesure ».

« Je trouve formidable que les phytogénéticiens nous aient emboîté le pas », s'exclame M. Tinker. « N'oubliez pas : il faut parfois 10 ans, sinon plus, pour passer du croisement initial à une nouvelle variété commercialisable. On comprend donc que les phytogénéticiens se montrent extrêmement prudents avant d'essayer quelque chose susceptible de changer leurs méthodes. Voir qu'ils ne sont pas seulement prêts, mais emballés à l'idée de recourir à la sélection génomique dans une large mesure pour l'amélioration génétique me fait dire que nous sommes tombés sur une excellente technique scientifique qui accélérera vraiment l'élaboration de nouvelles et meilleures variétés pour ces 3 cultures capitales. »