Peut-on vraiment avoir trop d'informations? Oui. C'est ce qu'explique Gary Van Domselaar. « En génomique, nous produisions plus de données que nous pouvions en analyser. C'est pourquoi nous avons besoin de la bio-informatique. »
Quant à l'application de cette nouvelle science à la salubrité des aliments, M. Van Domselaar – chef de la bio-informatique à l'Agence de la santé publique du Canada – évoque l'éclosion meurtrière de la listériose au Canada, en 2008. « Ici et là au pays, des gens tombaient malades. Nous savions que la maladie se transmettait par des aliments contaminés, dit-il, et nous voulions établir aussi vite que possible si les cas étaient isolés, sans rapport entre eux, ou s'il s'agissait vraiment d'une épidémie, ce qui enclencherait une alerte et nécessiterait diverses mesures pour découvrir la source du mal et y remédier. »
Entrée en scène de la génomique
Il y a peu encore, les autorités comptaient sur l'épidémiologie dite « d'enquête » pour l'établir. Des inspecteurs interrogent les personnes indisposées pour savoir ce qu'elles ont mangé, quand et où elles l'ont fait, avec qui elles ont été en contact et ainsi de suite.
La génomique a ajouté une arme à l'arsenal des épidémiologistes : la capacité de voir l'ADN de la bactérie. Grâce à cette science, les inspecteurs ont pu déterminer avec beaucoup plus de précision si l'infection était causée par les mêmes souches ou des souches différentes de la bactérie. Cependant, comme les essais ne portaient que sur des fragments d'ADN, les risques d'erreur demeuraient nombreux.
Séquençage de la prochaine génération
Quand l'épidémie de listériose s'est déclenchée, les technologies de séquençage de la prochaine génération (SPG) étaient déjà chose courante, avec la précision accrue des résultats que l'on imagine. « Ces technologies permettent virtuellement le séquençage complet du génome de bactéries comme Listeria en l'espace de trois jours », reprend M. Van Domselaar. « Nous pouvons presque voir chaque codon parmi les millions qui forment l'ADN de la bactérie. »
Le moyen pour interpréter une masse aussi colossale de données en temps voulu continuait néanmoins de faire défaut. « Certes, on pouvait identifier beaucoup mieux la souche bactérienne, mais pas assez vite pour que cela soit utile », se souvient M. Van Domselaar. « Il fallait trois jours pour recueillir les données et trois mois pour les analyser. Les inspecteurs devaient donc s'en remettre à la bonne vieille méthode, moins précise. »
Le coût exorbitant des toxi-infections alimentaires
L'épidémie de listériose de 2008 a coûté la vie à 24 personnes et 240 millions de dollars, estime-t-on, à l'économie canadienne. Sachant que la génomique pourrait réduire l'incidence et la gravité de tels drames, le gouvernement fédéral a débloqué des fonds et lancé le projet pluriannuel et multidisciplinaire de recherche sur la salubrité des aliments et de l'eau, dans le cadre de l'Initiative de recherche et de développement en génomique.
Pendant que des chercheurs du projet s'affairaient à séquencer le génome de centaines de souches de salmonelle et d'autres contaminants bactériens, M. Van Domselaar avait pour tâche de mettre au point la plateforme de bio-informatique qui exploiterait aussi efficacement que possible le volume titanesque de données résultant de la génomique.
Avec le concours d'autres scientifiques, d'utilisateurs et de parties prenantes – et grâce à une aide financière additionnelle de Génome Canada –, M. Van Domselaar et les membres de son équipe ont inventé la plateforme IRIDA, en cours de déploiement partout au pays.
Puissance et souplesse
« L'acronyme IRIDA vient de l'anglais Integrated Rapid Infectious Disease Analysis, ou analyse rapide complète des maladies infectieuses, explique-t-il. Cette plateforme donne une nouvelle dimension à PulseNet – le réseau national de surveillance des toxi-infections alimentaires – en permettant aux autorités provinciales d'accéder aux services de bio-informatique dont elles ont besoin pour stocker, gérer et analyser toutes sortes de données en génomique. »
La professeure Fiona Brinkman, de l'Université Simon Fraser – l'un des chercheurs principaux associés au projet – pense qu'une des grandes forces d'IRIDA est sa capacité d'adaptation. « Sa structure modulaire permet d'y intégrer facilement de nouvelles méthodes d'analyse ou leurs combinaisons au fur et à mesure de leur développement, déclare-t-elle. La plateforme a une grande puissance de calcul, mais aussi beaucoup de souplesse. »
William Hsiao, de l'Université de la Colombie-Britannique et du BC Centre for Disease Control, l'un des chercheurs principaux lui aussi, estime qu'avec une telle puissance et une pareille souplesse, IRIDA peut faire plus qu'améliorer la salubrité des aliments. « D'autres fonds seront nécessaires, mais l'on pourra modifier IRIDA pour dépister n'importe quelle sorte d'infection, dit-il. Du virus de la grippe aux bactéries antibiorésistantes qui préoccupent tant les hôpitaux. »
Cette capacité d'adaptation prend aussi une envergure internationale. En effet, M. Van Domselaar signale que de plus en plus de pays s'intéressent à IRIDA pour combler leurs besoins en bio-informatique.
Et la rapidité?
« Ah oui! », s'exclame le chercheur. « En 2008, il nous aurait fallu trois mois pour analyser une telle masse de données. À présent, nous le faisons à peu près en temps réel. »